(04.04.2002  23h15)

 

« YAAAHAAAAA ! »

 

Un cri déchire le silence étouffant alentour , brisant l’atmosphère lourde et pesante qui régnait jusqu’alors en ces lieux… Le bruit métallique et brutal de deux lames qui s’entrechoquent… Les souffles mêlés des adversaires, court, rauque, saccadé… Le combat a déjà commencé.

 

L’éclat blessant d’une épée longue s’abaisse longuement, en une large mouvement circulaire pour s’arrêter soudainement dans sa course , brutalement contré par la dureté d’une hache blanchie à la chaux, selon la méthode guerrière des Hadites, ces farouches soldats des tribus du nord. Un grognement sourd s’échappe des lèvres du détenteur de la hache lors du contact violent des deux armes. Mais déjà son adversaire repart, profitant de l’engourdissement passager du bras à la hache, pivotant sur lui même en un gracieux mouvement circulaire, dirigeant sa lame implacable vers le cou musculeux qui s’y offre.

La hache se lève et s’abat à temps sur l’épée, lui faisant mordre le sable roux au sol. Les combattants se fixent un moment, se jaugent puis bondissent simultanément en arrière. Alors qu’une fine poussière rouge s’élève du sol a la suite de leurs mouvements vifs et lourds, les deux vis-à-vis s’observent attentivement, tournant légèrement, dans l’attente d’une faiblesse de l’autre, d’une erreur de sa part, d’un signe des dieux, qui sait…

 

« Ha ! Tu ne peux pas me battre, chiya !Tu es bien trop faible, voyons ! Kalya ma hache aura bien raison de tes faibles membres, pauvre enfant ! »

L’homme a la hache, le Hadite, s’esclaffait bruyamment a la suite de son propre discours, très content de lui-même, et en même temps extrêmement sûr de lui et de sa force… Nul n’était encore jamais venu a bout de sa fidèle Kalya, personne qui soit encore en vit après l’avoir affrontée… Et ce petit vermisseau prétendait pouvoir en découdre ! Ha ! Sottises !Il allait lui montrer, lui.

 

Tandis qu’il s’exclamait ainsi, pérorant avec assurance, son adversaire avait bien, quant a lui, pris la pleine mesure de qui il était, sans commettre l’erreur toutefois de le sous-estimer. Faisant jouer ses poignets et sa lame, doucement, avec les reflets du soleil tapant, l’épéiste s’apprêtait déjà a frapper le Hadite , qui ne s’y attendrait certainement pas.

 

Soudain, l’épéiste frappe. Il frappe juste, et fort. Un coup, un seul, précis, terriblement efficace. L’épée se fiche dans l’épaule droite du Hadite en tremblant sous l’intensité du choc.

Ce dernier, ébahit, ne sachant pas ce qui lui arrive, écarquille les yeux aussi largement qu’une carpe des Mers Bleues et, sous l’onde de douleur, il serre les dents a s’en briser les mâchoires. L’épée, comme douée d’une propre,se retire vivement, tranchant d’autant plus les chairs a vif de l’épaule mordue. Cette fois, un cri jaillit de la gorge du massif Hadite.

 

« AAH ! Maudit ! Tu… Tu m’a blessé ! »Le guerrier prononça cet état de fait avec une parfaite stupéfaction, sans colère, car il n’en était pas encore là dans sa prise de conscience, mais tout bonnement dépassé par le fait qu’un être aussi faible puisse parvenir a le blesser LUI, et ce aussi sérieusement et SANS MÊME QU’IL AIT PÛ PARER !Il n’en revenait pas, mais la douleur de son épaule allant croissant lui assurait en même temps la totale véracité de ce qu’il venait de vivre.

« C’est de la sorcellerie, tu as triché ! Avoue le, gringalet !Avoue le et je te pardonnerai peut-être. »

 

Alors, pour la première fois, l’épéiste ouvrit la bouche et parla, non sans rester absolument maître de lui et en continuant a surveiller les moindres gestes du guerrier.

« Je n’ai pas triché, et tu le sais, guerrier. Je t’affronte a la loyal, selon tes propres exigences et règles. Tu n’as rien, strictement rien a me reprocher, l’Hadite, alors ferme-là et qu’on en finisse. A moins, biensûr que tu n’en puisse plus, auquel cas… »

 

Le hadite fût complètement abasourdit par ce qu’il entendait, a savoir une voix fluette et cristaline qui ne pouvait appartenir qu’à un enfant… ou  à une femme !Une FEMME ! Il avait été touché par une femme !

 

Ce fût la suprême humiliation pour lui, à quoi s’ajouta encore les paroles que prononcèrent cette voix et qui achevèrent de réveiller sa « juste » colère.

 

« On ne m’avait pas dit que tu étais une femme, Chiya ! Je t’avais appelé ainsi par dérision, mais… il semble, femme, que ce soit bien ainsi que je doive t’appeler !Rha ! Je cauchamarde, n’est-ce pas ? Voyons ! Une femme qui se bat, et qui se bat bien ! Non,non,non,non,non !Ce n’est pas du tout possible, alors ça !…Non ! »

Pestant ainsi, le guerrier avait abaissé sa hache.

 

« Que fais-tu ? Tu renonces ? Soit, j’accepte ta rédition, l’Hadite. »

 

L’interpellé manqua de s’étouffer a ces mots .

« Que..Quoi ?Moi ? Renoncer a combattre ? Ha ! Femme, si tu avais été un homme, je t’aurai tué pour cela. 

-Je suis une femme, certes, mais sens-tu la morsure de Flamme dans ton épaule, l’Hadite ?C’est moi, et moi seule, qui l’ai faite. Si tu baisse ton arme devant moi, tu capitules. Est-ce le cas ? » Un sourire ironique aux lèvres, la femme l’observait. Sa large armure androgyne expliquait aisément la confusion du guerrier à la hache, mais se justifiait amplement par son confort précieux et sa grande efficacité, de même que sa légèreté.

 

Le guerrier jura entre ses dents, levant sa hache de la main gauche, un peu maladroit, mais toujours suffisamment alerte pour se battre.

« Ca, ma petite, tu vas le regretter… »

 

La suite du combat fût bien court, car, dans sa colère, l’Hadite commis l’erreur impensable de tourner le dos a l’épéiste qui en profita : Flamme goûta goulûment la chair tendre du guerrier, parvint aisément jusqu’au cœur, qu’elle perça sans trembler. Le guerrier s’écroula sur le sol rouge , dans un nuage carmin de poussière masquant un instant la scène aux yeux des spectateurs alentour…

 

Alors, les gradins de l’arène semblèrent prendre vie, et comme les poumons de nouveau né expulse douloureusement leur premier cri, la clameur brutale qui s’éleva sembla être celle d’une renaissance. De partout, on se levait pour acclamer la guerrière si fluette qui avait terrassé le géant hadite, tâche qui semblait pourtant impossible a tout être sensé. Celle-ci se tourna vers la loge principale. Son visage, rouge de la poussière de la piste, n’exprimait nul contentement ni fierté pour cette victoire, aucun sentiment de vanité n’apparût lorsqu’elle retira enfin son casque et qu’elle offrit a tous la vue de sa face. Un nouveau silence surnaturel se fit.

 

Un cri suivit d’un sanglot… Cela semble venir de la loge princière, là au centre… L’épouse du souverain s’est évanouie. Une larme coule doucement sur le visage rouge de la guerrière au centre de l’arène, ses traits doux et aristocratiques se figent en une expression de haine et de désespoir mêlé…Le prince, interdit, fixe infiniment la jeune femme, se penche a en tomber au bord de sa loge, incapable d’accepter le témoignage de ses propres yeux…Enfin, il murmure :

« Tyiane…Tyiane ! »

 

Alors la jeune guerrière élève la voix et prononce ces paroles :

« Père ! Je suis revenue ici, chez moi, pour y revoir ma famille et vous faire enfin accepter mon choix. Je suis amazone et le resterai, ma vie est avec mes sœurs. Mais tu n’a rien voulu savoir, pour toi, elle ne sont, et ne seront toujours qu’une erreur de la nature, n’est-ce pas ?(expression de dédain profond sur son visage) Tu m’a fait arrêté sans même savoir qui j’étais. Aujourd’hui, j’aurai pu mourir, sous tes yeux, sans que tu t’en aperçoives et par ta seule et unique faute : toi, mon « Père »(mépris flagrant, illustré par le plis dédaigneux de sa bouche), tu as signé mon arrêt de mort en voulant « punir » celle qui m’ont « détournée de mon devoir », comme tu dis… »

 

Elle s’interrompt un instant, constatant que tous l’écoutent a présent, tous ceux qui ne voulaient pas admettre son choix, qui ne voulaient pas entendre sa voix, tous…

 

« Père, a partir de ce jour, Moi, Tyiane, Fille unique du Prince régnant de Kouampour, je renonce a mon héritage et renie toute parenté avec la famille régnante. Je te renie, toi et les tiens ! Ma famille, ma seule vraie famille m’attend au delà de ces murs… »

 

Remettant son casque, sans plus de cérémonie, l’amazone se tourna vers la sortie de l’arène, sans être menacée car en gagnant ce combat, elle avait gagné la liberté et le droit de vivre. Elle marcha dignement, sans se retourner , jusqu'à la limite ténue entre la lumière vive de l’arène et l’obscurité des tunnels qui menaient a l’extérieur. Elle marqua un temps d’arrêt.

« Adieu… », murmura-t-elle, sans qu’on l’entendit.

 

Puis elle s’enfonça définitivement dans l’obscurité sereine qui menait vers sa destinée et sa famille…

 

Fin

 

 

 

Saksha ^_^

 

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